Par une dĂ©cision rendue le 8 mars 2024 en assemblĂ©e plĂ©niĂšre, la Cour de cassation met K.O. le Conseil d’État en estimant qu’il n’existe pas de dĂ©lai raisonnable au sein de la juridiction judiciaire.

Team Conseil d’État…

L’on sait depuis juillet 2016 et la cĂ©lĂšbre dĂ©cision Czabaj que :

le principe de sĂ©curitĂ© juridique, qui implique que ne puissent ĂȘtre remises en cause sans condition de dĂ©lai des situations consolidĂ©es par l’effet du temps, fait obstacle Ă  ce que puisse ĂȘtre contestĂ©e indĂ©finiment une dĂ©cision administrative individuelle qui a Ă©tĂ© notifiĂ©e Ă  son destinataire, ou dont il est Ă©tabli, Ă  dĂ©faut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothĂšse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intĂ©ressĂ© sur les voies et les dĂ©lais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien Ă©tĂ© fournie, ne permet pas que lui soient opposĂ©s les dĂ©lais de recours fixĂ©s par le code de justice administrative, le destinataire de la dĂ©cision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delĂ  d’un dĂ©lai raisonnable ; qu’en rĂšgle gĂ©nĂ©rale et sauf circonstances particuliĂšres dont se prĂ©vaudrait le requĂ©rant, ce dĂ©lai ne saurait, sous rĂ©serve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prĂ©voient des dĂ©lais particuliers, excĂ©der un an Ă  compter de la date Ă  laquelle une dĂ©cision expresse lui a Ă©tĂ© notifiĂ©e ou de la date Ă  laquelle il est Ă©tabli qu’il en a eu connaissance

Le principe a, par la suite, été appliqué, par exemple, en matiÚre :

Seule la mise en jeu de la responsabilitĂ© d’une personne publique demeure soumise au dĂ©lai de prescription quadriennale.

D’application immĂ©diate aux instances en cours, la CEDH a nĂ©anmoins apportĂ© un tempĂ©rament au principe : il n’est pas applicable aux instances en cours, lorsque la dĂ©cision a Ă©tĂ© lue en juillet 2016. Elle ne peut donc pas s’appliquer rĂ©troactivement.

…vs Team Cour de cassation

Et coup de thĂ©Ăątre…la Cour de cassation n’en est pas Ă  son coup d’essai, ayant dĂ©jĂ  Ă©cartĂ© en 2018, puis en 2019, l’application de la jurisprudence BĂ©ziers en matiĂšre de contentieux contractuel.

Elle récidive, pourrait-on dire, mais cette fois-ci avec son cousin Czabaj, et juge :

Si, pour rĂ©pondre, notamment, aux impĂ©ratifs de clartĂ© et de prĂ©visibilitĂ© du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchĂ©e lorsqu’il est statuĂ© sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en prĂ©sence de principes et rĂšgles juridiques diffĂ©rents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l’espĂšce.

Et d’ajouter, non sans une pointe de cynisme :

le risque de contestation d’actes ou de dĂ©cisions sans limite de durĂ©e ne se prĂ©sente pas dans les mĂȘmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les rĂšgles de la prescription extinctive suffisent en principe Ă  rĂ©pondre Ă  l’exigence de sĂ©curitĂ© juridique.

Et enfin :

Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et rĂšgles applicables devant le juge civil, permet un juste Ă©quilibre entre le droit du crĂ©ancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du dĂ©biteur d’accĂ©der au juge.

Le communiqué de presse de la Cour est encore plus cinglant :

Si le juge judiciaire et le juge administratif n’adoptent pas une position similaire, cela s’explique par l’application de rĂšgles diffĂ©rentes, chacun des deux ordres juridictionnels atteignant Ă  sa maniĂšre le mĂȘme objectif d’équilibre entre les droits des parties.

Le Palais royal goutera Ă  l’expression « à sa maniĂšre »… tandis qu’on lit sur son site des titres beaucoup plus diplomates, tels que « Le dualisme juridictionnel : synergies et complĂ©mentarité »… Ambiance.

Bref, devant le juge judiciaire, Czabaj n’a pas cours et l’on s’en tiendra Ă  la prescription quadriennale. Un peu d’harmonisation de la main du Parlement ne serait pas de refus.


Cass. ass., 8 mars 2024, n° 21-12.560, Publié au bulletin.

Communiqué de presse de la Cour de cassation : https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2024/03/08/communique-delai-de-contestation-dun-titre-de-paiement-emis-par

« Le dualisme juridictionnel : synergies et complĂ©mentarité » – https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-interventions/le-dualisme-juridictionnel-synergies-et-complementarite