Par une décision rendue le 3 avril 2024, le Conseil d’État précise que l’insertion d’une clause de paiements différés dans un marché de travaux est sanctionnée par la nullité du contrat, sans que n’y fasse obstacle la loyauté dans les relations contractuelles.

Remarquée pour le risque de requalification d’un bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) en contrat de la commande publique, cette décision doit l’être également pour cet apport aux effets sinistres pour le cocontractant de l’administration.

Dans cette affaire, un centre hospitalier avait conclu avec une SCI un tel BEFA. Le contrat prévoyait la location de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux ainsi que d’un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat après la douzième année.

Une interdiction stricte des clauses de paiement différé

Un tel principe est ancien. Prévue depuis 1978 et l’entrée en vigueur du Code des marchés publics, son article 175 (puis 350) disposait : « Est interdite l’insertion dans un cahier des charges ou dans un marché de toute clause de paiement différé ou de paiement par annuités.« 

En clair, il s’agit essentiellement de rémunérer la réalisation des travaux après la réception de l’ouvrage.

Une telle clause conduit à la nullité du contrat à raison de son illicéité, comme l’a précisé le Conseil d’État en 1999 (CE, 7 /10 ss-sect. réunies, 8 févr. 1999, n° 150931, Lebon ; voir encore CAA Nancy, 3e ch., 6 avr. 2000, n° 96NC00044 ; CAA Marseille, 6e ch. – formation à 3, 9 juill. 2007, n° 05MA01513). Un tel manquement n’est toutefois pas un moyen soulevé d’office (CE, 7 / 10 ss-sect. réunies, 30 juin 1999, n° 169336 169545, Lebon).

Cette prohibition a été reprise sous des termes similaires par l’article 60 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, désormais codifié à l’article L. 2191-5 du Code de la commande publique. Seule exception : dans les marchés globaux, selon l’article L. 2191-6 du même Code. Il en va de même dans les marchés de défense ou de sécurité, avec, là encore, des aménagements, comme le prévoit l’article L. 2391-5 du même Code.

Cependant, le principe de loyauté dans les relations contractuelles à l’honneur depuis 2009 pouvait-il faire obstacle à l’anéantissement du marché ?

Une clause à l’effet redoutable

Affirmatif et la sanction est sans appel, hélas. Le Conseil d’État qualifie d’abord la nature différée du paiement :

En vertu du contrat en litige, les travaux d’aménagement du bâtiment A et de construction du bâtiment C étaient rémunérés par le centre hospitalier, non par le versement immédiat d’un prix, mais par le versement de loyers ainsi que de « surloyers » d’un montant annuel de 31 852,80 euros pendant une durée de dix ans à compter de la livraison du bâtiment C. Par suite, après avoir requalifié le contrat en litige en marché public de travaux ainsi qu’il a été dit au point 4, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’une telle clause prévoyant ces versements, qui constituaient des paiements différés, était prohibée dans les marchés publics passés par les établissements publics de santé,

Puis, pour écarter l’application du principe de loyauté dans les relations contractuelles, il est ainsi retenu qu’une telle clause marque le caractère illicite du contenu du contrat :

après avoir souverainement constaté que la clause de paiement différé mentionnée au point 6 était indivisible du reste du contrat, qu’eu égard à la nature de cette clause, le contenu du contrat présentait un caractère illicite et qu’un tel vice était de nature à justifier son annulation, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. La requérante ne peut utilement critiquer les motifs surabondants par lesquels la cour a, d’une part, relevé que le montage contractuel retenu avait pour but d’échapper aux règles de publicité et de mise en concurrence et, d’autre part, rappelé l’interdiction pour les établissements publics de santé de recourir à la procédure du marché public de partenariat.

À l’heure où tout est à peu près régularisable, une telle position peut interroger alors même que la finalité du bail – héberger des patients – témoigne de l’exercice certain d’une mission de service public hospitalier. Elle conduit également à des configurations au balancier surprenant. Et pour cause, d’une part, un marché passé, par exemple, sans mise en concurrence qualifie l’infraction de favoritisme, mais pas un vice d’une particulière gravité (CE, 7e et 2e ss-sect. réunies, 12 janv. 2011, n° 338551, Lebon), tandis que d’autre part, l’étalement du coût des travaux est neutre sur le plan pénal, mais conduit avec certitude à l’anéantissement du contrat.

Au reste, Monsieur Labrune faisait observer sous la décision commune de Hyères que :

En réalité, ce que doit faire le juge, c’est un tri entre les éléments du contrat – ou de l’offre acceptée devenue contrat – selon leur portée : seuls ceux qui déterminent l’objet même des obligations contractuelles sont susceptibles, s’ils méconnaissent une norme supérieure, d’entraîner l’annulation du contrat.

Conclusions sous CE, 7-2 chr, 5 avr. 2023, n° 459834, Lebon T.

Or, faire du paiement différé une modalité d’exécution du contrat n’apparait un débat totalement stérile, tandis qu’il semble avoir (très et trop) rapidement été écarté, même en cassation. Alors qu’ici, le centre hospitalier avait même commencé à payer les premiers loyers…


CE, 7-2 chr, 3 avr. 2024, SCI Victor Hugo 21 : n° 472476, Lebon.