Par un arrĂȘt du 9 novembre 2023, la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme encadre l’application dans le temps de la jurisprudence Czabaj.
L’on sait depuis juillet 2016 et la cĂ©lĂšbre dĂ©cision Czabaj que :
le principe de sĂ©curitĂ© juridique, qui implique que ne puissent ĂȘtre remises en cause sans condition de dĂ©lai des situations consolidĂ©es par l’effet du temps, fait obstacle Ă ce que puisse ĂȘtre contestĂ©e indĂ©finiment une dĂ©cision administrative individuelle qui a Ă©tĂ© notifiĂ©e Ă son destinataire, ou dont il est Ă©tabli, Ă dĂ©faut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothĂšse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intĂ©ressĂ© sur les voies et les dĂ©lais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien Ă©tĂ© fournie, ne permet pas que lui soient opposĂ©s les dĂ©lais de recours fixĂ©s par le code de justice administrative, le destinataire de la dĂ©cision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delĂ d’un dĂ©lai raisonnable ; qu’en rĂšgle gĂ©nĂ©rale et sauf circonstances particuliĂšres dont se prĂ©vaudrait le requĂ©rant, ce dĂ©lai ne saurait, sous rĂ©serve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prĂ©voient des dĂ©lais particuliers, excĂ©der un an Ă compter de la date Ă laquelle une dĂ©cision expresse lui a Ă©tĂ© notifiĂ©e ou de la date Ă laquelle il est Ă©tabli qu’il en a eu connaissance
D’application immĂ©diate aux instances en cours, le principe a, par la suite, Ă©tĂ© appliquĂ©, par exemple, en matiĂšre :
- de contestation de titre exécutoire ;
- d’autorisation d’urbanisme ;
- de rĂ©fĂ©rĂ©-suspension, sans recourir au moyen dâordre public tirĂ© de la tardivetĂ© de la requĂȘte ;
- de recours contre les actes non réglementaires
Saisie de la dĂ©licate question de la restriction prĂ©torienne d’un droit au recours, d’une part, et d’autre part, son application rĂ©troactive (et donc aux instances en cours), la CEDH a raisonnĂ© en deux temps.
La restriction prĂ©torienne d’un droit au recours
La Cour n’y trouve rien Ă redire et valide ainsi le principe de sĂ©curitĂ© juridique tel qu’il a Ă©tĂ© Ă©rigĂ© par la jurisprudence Czabaj :
la Cour considĂšre que la consĂ©cration dâun dĂ©lai raisonnable de recours contentieux, fixĂ©, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, Ă une annĂ©e Ă compter du moment oĂč le requĂ©rant a eu connaissance de la dĂ©cision dont il est le destinataire, accorde Ă celui-ci une pĂ©riode de temps qui ne saurait ĂȘtre regardĂ©e, en principe, comme insuffisante pour pouvoir sâenquĂ©rir des voies et dĂ©lais de recours lui permettant de contester cette dĂ©cision. Elle relĂšve que si cette nouvelle cause dâirrecevabilitĂ© nâest pas susceptible de donner lieu Ă rĂ©gularisation en cours dâinstance sur le fondement de lâarticle R. 612-1 du code de justice administrative, le requĂ©rant est nĂ©anmoins mis Ă mĂȘme de justifier de circonstances particuliĂšres pouvant entraĂźner, Ă lâapprĂ©ciation du juge, lâallongement du dĂ©lai raisonnable.
L’application rĂ©troactive de la jurisprudence Czabaj
En revanche, la Cour sanctionne le caractÚre rétroactif du principe. Il est ainsi jugé :
la Cour conclut que le rejet pour tardivetĂ©, par application rĂ©troactive du nouveau dĂ©lai issu de la dĂ©cision Czabaj, des recours des requĂ©rants, introduits antĂ©rieurement Ă ce revirement jurisprudentiel, Ă©tait imprĂ©visible. En outre, elle rappelle que les observations quâils ont, le cas Ă©chĂ©ant, pu prĂ©senter, nâont pas Ă©tĂ© susceptibles in concreto dâallonger la durĂ©e du « dĂ©lai raisonnable » fixĂ© en rĂšgle gĂ©nĂ©rale Ă une annĂ©e par cette nouvelle dĂ©cision. Dans ces conditions, la Cour considĂšre que lâapplication aux instances en cours de la nouvelle rĂšgle de dĂ©lai de recours contentieux, qui Ă©tait pour les requĂ©rants Ă la fois imprĂ©visible, dans son principe, et imparable, en pratique, a restreint leur droit dâaccĂšs Ă un tribunal Ă un point tel que lâessence mĂȘme de ce droit sâen est trouvĂ©e altĂ©rĂ©e
Peu de changement à prévoir dans les prétoires administratif néanmoins, car seules les instances en cours sont en réalité concernées, pourvu que la question de la tardiveté du recours soit en débat.
Pour les instances Ă venir, gare Ă Czabaj : le temps qui passe n’est jamais favorable au requĂ©rant !
CEDH, Cour (CinquiÚme Section), 9 nov. 2023, Legros et autres : n° 72173/17