Saisi pour avis par le Tribunal administratif de Pau, le Conseil d’État s’est prononcĂ© le 12 avril 2022 de manière inĂ©dite sur le lien entre demande indemnitaire et injonction de faire.

La question posée était la suivante :

La possibilitĂ© pour le juge administratif de mettre en Ĺ“uvre ses pouvoirs d’injonction, en l’absence de toute conclusion aux fins d’indemnitĂ©, reconnue en matière de dommages d’ouvrages ou de travaux publics dans le cadre de la responsabilitĂ© sans faute, peut-elle ĂŞtre Ă©tendue en matière de responsabilitĂ© pour faute, notamment dans le cas de la carence fautive d’une personne publique Ă  exercer ses pouvoirs de police ou de son refus de se conformer aux obligations qui lui sont fixĂ©es par voie lĂ©gislative ou rĂ©glementaire [?]

Le Conseil d’État rĂ©pond en trois temps.

Premièrement, il rappelle en des termes simples, mais cependant inédit, le régime de responsabilité pour faute :

1. La personne qui subit un prĂ©judice direct et certain du fait du comportement fautif d’une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilitĂ© tendant Ă  ce que cette personne publique soit condamnĂ©e Ă  l’indemniser des consĂ©quences dommageables de ce comportement.

Deuxièmement, sous ce rĂ©gime de responsabilitĂ© pour faute, il conditionne la recevabilitĂ© d’une injonction visant Ă  mettre fin au comportement fautif de l’administration Ă  la prĂ©sentation de conclusions indemnitaires :

2. Elle peut Ă©galement, lorsqu’elle Ă©tablit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du prĂ©judice qu’elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant Ă  ce qu’il soit enjoint Ă  la personne publique en cause de mettre fin Ă  ce comportement ou d’en pallier les effets. De telles conclusions Ă  fin d’injonction ne peuvent ĂŞtre prĂ©sentĂ©es qu’en complĂ©ment de conclusions indemnitaires.

À rapprocher de CE, 5e / 4e ss-sect. réunies, 27 juillet 2015 : n° 367484, Lebon.

En somme, l’administration ne peut ĂŞtre obligĂ©e Ă  rĂ©parer concrètement sa faute que si, par ailleurs, cette dernière ouvra droit Ă  rĂ©paration pĂ©cuniaire.

Enfin, troisièmement, et de manière tout aussi inĂ©dite, l’avis du Conseil d’État ajoute :

3. De la mĂŞme façon, le juge administratif ne peut ĂŞtre saisi, dans le cadre d’une action en responsabilitĂ© sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant Ă  ce qu’il enjoigne Ă  la personne publique de prendre les mesures de nature Ă  mettre fin au dommage ou Ă  en pallier les effets, qu’en complĂ©ment de conclusions indemnitaires.

A contrario : CE, sect., 6 déc. 2019 : n° 417167, Lebon.

C’est particulièrement sur point que l’avis est le plus surprenant. Et pour cause, tandis que les juges du Tribunal administratif de Pau tenaient pour acquis la possibilitĂ© de mettre en Ĺ“uvre ses pouvoirs d’injonction mĂŞme sans conclusions indemnitaires en matière de responsabilitĂ© sans faute, le Conseil d’État revient Ă©galement sur ce point.

Aussi, en plein contentieux, il n’est pas possible de se limiter Ă  une obligation de faire : ici, s’agissait d’installer des clapets anti-retours sur des exutoires des rĂ©seaux d’eau pluviale et procĂ©der au nettoyage complet d’un cours d’eau.

Il convient donc indissociablement de justifier d’un dommage et d’un prĂ©judice indemnisable, ce, quel que soit le rĂ©gime de responsabilitĂ© – pour faute ou sans faute – invoquĂ©.

Prudence, donc, car le couple « conclusions indemnitaires / injonction » est désormais inséparable, quel que soit le fondement juridique de la demande.


CE, 12 avril 2022, société la Closerie : n°458176