Par une décision rendue le 30 avril 2024, le Conseil d’État admet que le juge puisse se procurer, seul, une preuve sur une base de données publique accessible en ligne, ici, geoportail.fr.

L’on sait que devant le juge administratif, la procédure est inquisitoriale. Le Président Odent précisait sous la décision Barel (CE, ass., 28 mai 1954, n° 28238 28493 28524 30237 30256, Lebon.) que :

le caractère inquisitoire de la procédure n’a pas seulement des conséquences sur le développement du procès. Il en a de fort importantes sur les modes de preuve devant les juridictions administratives. Le juge administratif, parce qu’il dirige l’instruction, prend une part active dans la recherche de la vérité

Contentieux administratif 1976-1981, Les Cours de droit, p. 896, cité par ROLIN Frédéric, « La procédure administrative contentieuse est-elle véritablement inquisitoire ? », Civitas Europa, 2020/1 (N° 44), p. 169-180. DOI : 10.3917/civit.044.0169. URL : https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2020-1-page-169.htm

Le juge peut ainsi avoir une part plus ou moins active dans la recherche de la preuve, notamment par le biais de mesures d’instruction. De là à ce que le juge puisse, seul et sans avertir les parties, se rendre en ligne pour palier leur carence, la nouveauté est notoire, même si certaines juridictions s’y étaient risquées (TA Rennes, 1re ch., 16 févr. 2024, n° 2204497, par exemple). En effet, jusqu’alors le Conseil d’Etat se révélait prudent, soulignant généralement qu’il :

incombe au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les questions en litige au vu des échanges contradictoires entre les parties et des éléments versés au dossier 

Par exemple, CE, 3e ss-sect. jugeant seule, 27 nov. 2015, n° 393058.

C’est désormais chose possible, et le Conseil d’Etat de juger :

pour juger que le terrain d’assiette du projet de construction en cause ne pouvait être regardé comme situé dans une partie urbanisée de la commune, la cour s’est, pour conforter son appréciation des pièces du dossier, fondée, ainsi qu’il lui était loisible de le faire sans les communiquer aux parties, sur les données publiques de référence produites par l’Institut géographique national et librement accessibles au public sur le site internet geoportail.gouv.fr.

L’on peut ainsi aisément imaginer que d’autres bases de données publiques puissent être consultées : inventaire national du patrimoine naturel, https://cadastre.data.gouv.fr, https://annuaire-entreprises.data.gouv.fr/, etc.

Bref, le juge administratif, un juge connecté.


CE, 5-6 chr, 30 avr. 2024, n° 465124, Lebon T.