Rififi dans la Marine. Certains entretiens individuels ne se limitent pas au coup de semonce et dégénèrent au point que l’agent demande la qualification de l’événement en accident de service, à raison du syndrome anxio-dépressif majeur réactionnel engendré.

C’est le récit offert par le service logistique de la marine de Brest passé au prisme du Conseil d’État aux termes d’une décision du 27 septembre 2021, anéantissant deux décisions – du Tribunal administratif et de la Cour administrative – favorables à l’agent.

Un régime d’abord textuel

Rappelons d’abord qu’en application de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, l’imputabilité au service permet a l’agent de conserver l’intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois, pour ensuite être décoté, voire l’intégralité de celui-ci jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service à raison de motifs exceptionnels.

Une agent est reçue par sa supérieure hiérarchique pour son en entretien annuel d’évaluation professionnelle. Un conflit éclate, notamment à raison des propos à caractère xénophobe de l’agent, invitée à  » ne plus émettre d’observations sur des sujets sociétaux  » et d' » observer la neutralité qui s’impose à chacun dans le cadre professionnel « . En joue : feu !

Le lendemain, un médecin diagnostique un syndrome anxio-dépressif majeur réactionnel, avec risque suicidaire. L’agent est placée en arrêt maladie.

Un psychiatre établit le même diagnostic. Toutefois, la commission de réforme émet un avis défavorable. Motif : la pathologie de l’intéressée ne présente « pas de lien direct unique et certain » avec le service.

Assez logiquement, le ministère de la défense refuse d’admettre l’imputabilité au service. Le Tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel sont saisi et se positionnent favorablement à l’agent.

La Cour juge ainsi :

Contrairement à ce que soutient la ministre des armées, en portant cette appréciation, cet expert ne s’est pas borné à reprendre les doléances de Mme C… mais a analysé sa situation médicale en toute impartialité et objectivité. Si la commission de réforme a estimé pour sa part, que sa pathologie ne présentait  » pas de lien direct unique et certain  » avec le service, ajoutant un critère d’exclusivité prévue ni par le texte, ni par la jurisprudence, elle n’a fait état d’aucun autre évènement personnel et privé de nature à justifier l’origine des troubles psychologiques de Mme C…. Pour sa part, la ministre des armées se borne en appel à indiquer qu’un entretien d’évaluation professionnelle ne peut être regardé comme un évènement soudain et violent de nature à caractériser l’existence d’un accident de service au sens des dispositions du deuxième alinéa du 2° de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984, sans évoquer aucune circonstance particulière permettant de détacher du service la pathologie présentée par Mme C… immédiatement après son entretien d’évaluation. Par suite le ministre de la défense ne pouvait refuser de reconnaître l’imputabilité au service des arrêts de travail de Mme C… compris entre le 11 février et le 30 septembre 2015.

Il résulte de ce qui précède, que la ministre des armées n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 7 mars 2016 du ministre de la défense

CAA Nantes, 31 mars 2020 : n°18NT01204

Une interprétation surtout prétorienne

Le Conseil d’État est saisi, et contre la position des deux juridictions du fond – fait rare -, annule l’arrêt de la Cour précité.

Il est d’abord rappelé le régime de l’accident de service :

Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent.

En résumé, trois critères doivent être réunis pour qualifier un accident de service :

  1. un événement datable et par hypothèse, soudain ;
  2. un événement survenant au cours du service ;
  3. un événement dont l’existence rejaillit sur l’état de santé de l’agent.

L’accident de service résultant d’un accident entraîne des « lésions » – selon le vocable employé – corporelles et parait facile à considérer, mais quid de l’accident résultant d’une altercation ?

Le Conseil d’État donne une clef d’analyse à cette situation. Le retentissement chez l’agent importe peu. Seule importe l’attitude du supérieur hiérarchique qui ne doit pas avoir un comportement excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Autrement dit, le travail de qualification juridique des faits est davantage à accomplir du côté du supérieur hiérarchique que de l’agent évalué.

Appliquant le principe ainsi dégagé aux faits, et s’écartant de la position nantaise, il est jugé :

la cour administrative d’appel de Nantes a relevé d’une part qu’au cours de l’entretien professionnel qui avait eu lieu le 10 février 2015, la qualité de ses relations avec ses collègues avait été évoquée défavorablement, qu’il lui avait été reproché d’avoir tenu des propos à caractère xénophobe et demandé en conséquence de  » ne plus émettre d’observations sur des sujets sociétaux  » et d' » observer la neutralité qui s’impose à chacun dans le cadre professionnel « , d’autre part que si sa chef de service indique dans son rapport du 21 mai 2015 être restée calme au cours de cet entretien et avoir conservé un ton mesuré, Mme A… a alors quitté précipitamment cet entretien, qu’elle a produit le lendemain un arrêt de travail de son médecin traitant confirmant l’avoir reçue  » en état de choc avec une anxiété généralisée majeure réactionnelle  » et qu’un avis d’un expert psychiatre établi au mois de juillet suivant faisait état d’un  » tableau anxio-dépressif ayant fait suite au contenu d’un entretien d’évaluation professionnelle à l’origine d’une blessure narcissique.  » En déduisant de ces seules constatations que l’entretien d’évaluation de Mme A… était constitutif d’un accident de service, sans relever aucun élément de nature à établir que par son comportement ou par ses propos la cheffe de service qui avait conduit cet entretien aurait excédé l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, la cour administrative d’appel de Nantes a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

Pour qualifier un « accident », on songera alors un des propos outrageants, dégradants et/ou grossiers, alors passibles de condamnation pénale et c’est peut-être cette ligne de crête qu’a voulu tracer, en filigrane, le Conseil d’État.

Songeons également aux conséquences pour l’agent, qui devra restituer une bonne partie de son traitement perçu depuis la lecture du jugement du Tribunal administratif, subissant rétroactivement l’application du régime de droit commun de l’agent placé en congé maladie.

Au repos.


CE, 27 septembre 2021, Ministre des Armées, n° 440983