Par une décision du 22 octobre 2021, le Conseil d’État convoque sa récente jurisprudence unifiant sa position en matière de droit dit « mou » ou « souple », pour l’appliquer aux communiqués de presse.

L’on sait depuis le 12 juin 2020 que les directives, lignes directrices, circulaires, notes, etc. sont désormais logées à la même enseigne. L’on sait aussi qu’aucune décision en matière d’épandages de produits phytopharmaceutiques n’échappe au Conseil d’État, tant le sujet est controversé (entre autre, avec la chasse).

Il aura fallu la combinaison de ces deux circonstances pour le Conseil d’État réemploie le principe ainsi posé aux communiqués de presse, notamment gouvernementaux :

Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure.

CE, 12 juin 2020, Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) : n°418142

Au cas présent, était en jeu un communiqué de presse portant sur les « Distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations », publié en mars 2020 sur le site internet du ministère de l’agriculture.

Le texte du communiqué prévoyait, compte tenu de la crise sanitaire, la réduction des distances d’épandage à 5 et 3 mètres dès lors qu’une concertation aura été lancée « sans attendre sa validation » (sic).

Compte tenu de l’effet notable et évident sur les droits ou la situation d’autres personnes – ici, les riverains des opérations d’épandages, portés par l’association Générations Futures -, le Conseil d’État s’en saisit et juge que :

il ressort des pièces du dossier que le communiqué de presse et la note « Eléments de mise en œuvre » attaqués, d’ailleurs publiés sur le seul site du ministère de l’agriculture, n’émanent que du seul ministre de l’agriculture et de l’alimentation. D’autre part, par les éléments contestés de ce communiqué de presse et de cette note, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a entendu prévoir que les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques pourraient réduire les distances de sécurité dans les conditions prévues par l’arrêté du 27 décembre 2019, avant même qu’un projet de charte ne soit soumis à la concertation publique. Dès lors, ainsi qu’il a été dit au point 8, cette mesure, qu’il appartenait le cas échéant aux ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation d’édicter conjointement, a été prise par une autorité incompétente.

C’est ici l’application prosaïque du principe énoncé plus haut, selon lequel le juge doit s’emparer du document dont il est saisi dès lors que ce dernier fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence (ici, épandage possible à 3 mètres, sous conditions).

À noter également que le Conseil d’État censure dans cette instance une note « Éléments de mise en œuvre », tandis qu’il rejette le recours dirigé contre une instruction technique traitant du même sujet.

Deux remarques, cependant.

D’une part, l’on s’interrogera sur l’effet utile de cette annulation, le communiqué de presse visant, à l’époque, essentiellement à mettre en œuvre des dispositions transitoires, sur un bref laps de temps, compte tenu de la crise sanitaire.

D’autre part, quel est, demain, le support de la règle de droit ? Un tweet, une vidéo TikTok ? Surtout lorsqu’on connait volume de notes et recommandations émises frénétiquement (par exemple en matière de déplacement à vélo, lors du premier confinement, alors qu’une « incertitude [s’était] installée, à raison des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques », notamment sur les réseaux sociaux, dixit le Conseil d’État).

Si tel était le cas, la notion de « document » a vécu et le Conseil d’État devra nécessairement s’interroger sur le périmètre de sa jurisprudence en matière de droit « mou »…qui se solidifiera peut-être avec le temps.


CE, 22 octobre 2021, association Générations Futures : n°440210