Par une dĂ©cision du 9 juin 2021, le Conseil d’État prĂ©cise qu’en matière de contentieux portant sur la validitĂ© d’un contrat, le juge n’est pas liĂ© par les conclusions des parties.

Il peut donc rĂ©silier, voire annuler – totalement ou partiellement, mĂŞme avec effet diffĂ©rĂ© – le contrat, sans ĂŞtre contraint par les Ă©critures qui lui sont soumises.

Pour mĂ©moire, le Conseil d’État a remodelĂ© en 2014 le recours en contestation de la validitĂ© du contrat et Ă©largit les pouvoirs du juge. VĂ©ritable rĂ©volution, cette dĂ©cision rend marginal le recours contre les actes dĂ©tachables. Elle ouvre Ă  toute personne la possibilitĂ© d’attaquer un contrat public, pourvu toutefois qu’elle y ait intĂ©rĂŞt.

Dans la dĂ©cision commentĂ©e, le Conseil d’État commence par rappeler le principe ainsi dĂ©gagĂ© :

Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles

Saisi d’un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses par un tiers justifiant que la passation de ce contrat l’a lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, il appartient au juge du contrat, en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.

Les faits : un cabinet d’avocat Ă©vincĂ© conteste l’attribution d’un marchĂ© d’assistance Ă  maĂ®trise d’ouvrage et d’accompagnement juridique pour la construction et la gestion d’un crĂ©matorium. Devant le Tribunal, il demande la rĂ©siliation du marchĂ©. Devant la Cour, il demande aussi et pour la première fois l’annulation du contrat. Alors, conclusions nouvelles irrecevables en appel ?

Le Conseil d’État rĂ©pond non et en ces termes :

Il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cède que le juge du contrat saisi par un tiers de conclusions en contestation de la validitĂ© du contrat ou de certaines de ses clauses dispose de l’ensemble des pouvoirs mentionnĂ©s au point prĂ©cĂ©dent et qu’il lui appartient d’en faire usage pour dĂ©terminer les consĂ©quences des irrĂ©gularitĂ©s du contrat qu’il a relevĂ©es, alors mĂŞme que le requĂ©rant n’a expressĂ©ment demandĂ© que la rĂ©siliation du contrat. Par suite, en considĂ©rant que les Ă©critures par lesquelles M. A… faisait valoir devant elle que les vices entachant le contrat Ă©taient de nature Ă  entraĂ®ner son annulation constituaient des conclusions nouvelles en appel et par suite irrecevables au motif qu’il n’avait demandĂ© au tribunal administratif que la rĂ©siliation du contrat, alors que les conclusions de M. A… devaient ĂŞtre regardĂ©es dès l’introduction de la requĂŞte devant le tribunal comme contestant la validitĂ© du contrat et permettant au juge, en première instance comme en appel, si les conditions en Ă©taient remplies, de prononcer, le cas Ă©chĂ©ant d’office, l’annulation du contrat, la cour […] a commis une erreur de droit.

La dĂ©cision conforte assurĂ©ment le caractère inquisitoire de la procĂ©dure administrative contentieuse. Mais alors, quelle est (encore) la place des parties, qui selon les cas peuvent plutĂ´t avoir intĂ©rĂŞt Ă  rechercher une annulation en lieu et place d’une rĂ©siliation, et vice versa ?

Bref, en matière contractuelle, le juge peut désormais tout.


CE, 9 juin 2021, Conseil National Des Barreaux : n°438047 | 438054