Par une décision du 18 décembre 2020, le Conseil d’État souffle un vent de frais sur deux notions qui vont souvent de pair : le marché de substitution en présence d’un titulaire défaillant et la résiliation pour faute qui en découle (parfois).

Gare toutefois, car ces deux mesures à disposition de l’acheteur public sont encadrées et obéissent à un certain formalisme.

Le litige prend place à Saint-Malo, la CCI constatant avec un grand désarroi que les grues portuaires qu’elle a achetées ne fonctionnent pas.

Le marché de substitution : une solution en principe provisoire

Le Conseil d’État commence par synthétiser :

il résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs que l’acheteur public de fournitures qui a vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce. La conclusion de marchés de substitution, destinée à surmonter l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu’ils entravent l’exécution d’un marché de fournitures, est possible même en l’absence de toute stipulation du contrat le prévoyant expressément, en raison de l’intérêt général qui s’attache à l’exécution des prestations. La mise en œuvre de cette mesure coercitive, qui peut porter sur une partie seulement des prestations objet du contrat et qui n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant, ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat par l’acheteur public. La règle selon laquelle, même dans le silence du contrat, l’acheteur public peut recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant revêt le caractère d’une règle d’ordre public.

Le principe du marché de substitution n’est pas nouveau (CE, 28 janvier 1977, ministère de l’Économie et des finances : n°99449). Le caractère d’ordre public de cette faculté est lui, plus récent : elle peut être mise en œuvre dans le silence ou la contradiction du contrat (CE, 9 novembre 2016, société Fosmax LNG : n°388806).

Le Conseil d’État regroupe ainsi dans un seul considérant les critères du marché de substitution, qui doit donc, en synthèse :

  • être précédé d’une mise en demeure ;
  • palier l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant ;
  • être mené sans nécessairement résilier le marché initial ;
  • être notifié au titulaire initial, afin de se réserver la possibilité de l’exécuter à ses frais et risques.

Dans son récent considérant, on notera que le Conseil d’État ne vise pas expressément l’obligation de notifier au titulaire initial le marché de substitution, tandis qu’il avait souligné cette nécessaire diligence si l’acteur public entend faire exécuter le marché aux frais et risques du titulaire en défaut (CE, 7 mars 2005, société d’études et entreprise d’équipements : n° 241666).

La prudence commande donc de procéder à cette notification.

La résiliation pour faute : le dernier recours

On a déjà vu par le passé que la résiliation est avant tout une sanction, une sanction lourde, une sanction lourde qui doit être proportionnée aux manquements du cocontractant.

Sur la base de ces critères, le Conseil d’État rappelle les conditions d’intervention de cette mesure ultime :

même si le marché ne contient aucune clause à cet effet et, s’il contient de telles clauses, quelles que soient les hypothèses dans lesquelles elle prévoient qu’une résiliation aux torts exclusifs du titulaire est possible, il est toujours possible, pour le pouvoir adjudicateur, de prononcer une telle résiliation lorsque le titulaire du marché a commis une faute d’une gravité suffisante.

Rappelons que cette faculté est désormais codifiée à l’article L. 2195-3 du Code de la commande publique et le Conseil d’État aurait sans doute pu le rappeler.

L’engagement de cette mesure de résiliation suppose également de caractériser la gravité de la faute, ce que les acheteurs publics oublient souvent de faire avec application au stade de la mise en demeure préalable (souvent négligée également).

Et appliquant le principe aux faits, il est jugé :

en l’absence de clause prévue à cet effet, seule une faute d’une gravité suffisante était de nature à justifier la résiliation d’un marché public aux torts exclusifs de son titulaire, la cour administrative d’appel de Nantes a estimé que, en livrant à la CCI du Pays de Saint-Malo, avec plus de deux ans de retard par rapport à la date de livraison prévue le 13 décembre 2004, une grue dont la mise en service n’a jamais pu intervenir en raison de graves vices de conception, la société Treuils et Grues Labor n’avait pas exécuté les prestations prévues par le marché dont elle était titulaire et avait ainsi commis une faute d’une gravité suffisante pour justifier le recours à des marchés de substitution puis la résiliation du marché à ses torts exclusifs, sans qu’y fasse obstacle le délai de cinq ans qui s’est écoulé entre la date de réception de la grue et celle de la résiliation. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus aux points 4 et 5 qu’en se fondant ainsi sur une faute d’une gravité suffisante, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a, alors même que les stipulations des articles 28 et 32 du CCAG de 1977, citées au point 3, prévoient des hypothèses de résiliation du marché aux torts du titulaire et d’exécution du marché à ses frais et risques, commis aucune erreur de droit. Elle n’a pas non plus entaché son arrêt d’erreur de droit ni d’insuffisance de motivation et elle n’a pas méconnu son office en relevant que la société ne pouvait en tout état de cause se prévaloir des stipulations du CCAG approuvé par l’arrêté du 19 janvier 2009, qui n’était pas applicable au marché litigieux.

Deux ans de retard, mise en service avortée, vices de conception…sont donc autant d’éléments alimentant la gravité des fautes commises. Ces dernières justifient ici la mesure de résiliation, pourvu qu’il en soit dressé l’inventaire détaillé lors de la mise en demeure préalable.

Le Conseil d’État livre donc ici un cas intéressant et facile à appréhender d’articulation entre le marché de substitution et la mesure de résiliation qui peut en découler.


CE, 18 décembre 2020, sociétés Treuils et Grues Labor : n°433386.