Par une décision du 12 juin 2020, le Conseil d’État unifie ses jurisprudences disparates en matière de droit dit « mou » ou « souple » : directives, lignes directrices, circulaires, notes, etc. sont désormais logées à la même enseigne.

Pour parvenir à une telle synthèse qui illustre à nouveau son pouvoir de création prétorien, le Conseil d’État était saisi par le GISTI d’une « note d’actualité » relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil ».

L’on sait déjà que, en matière de :

– Circulaires et instructions

l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en ouvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure

CE, 18 décembre 2002, Duvignières : n° 233618
Directives

la commission nationale s’est référée aux normes contenues dans une de ses propres directives par lesquelles elle entendait, sans renoncer a exercer son pouvoir appréciation, sans limiter celui des commissions départementales et sans édicter aucune condition nouvelle a l’octroi de l’allocation dont s’agit, définir des orientations générales en vue de diriger les interventions du fonds 

CE, 11 décembre 1970, Crédit Foncier de France : n°78880
-Ces mêmes directives étant devenues des lignes directrices

dans le cas où un texte prévoit l’attribution d’un avantage sans avoir défini l’ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui sont en droit d’y prétendre, l’autorité compétente peut, alors qu’elle ne dispose pas en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l’action de l’administration, dans le but d’en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en oeuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d’intérêt général conduisant à y déroger et de l’appréciation particulière de chaque situation ; que, dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l’avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées ; qu’en revanche, il en va autrement dans le cas où l’administration peut légalement accorder une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l’intéressé ne peut faire valoir aucun droit ; que s’il est loisible, dans ce dernier cas, à l’autorité compétente de définir des orientations générales pour l’octroi de ce type de mesures, l’intéressé ne saurait se prévaloir de telles orientations à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif

CE, 4 février 2015, ministre de l’intérieur : n°383267
– Avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation

les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ; que, dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation ; qu’il lui appartient également, si des conclusions lui sont présentées à cette fin, de faire usage des pouvoirs d’injonction qu’il tient du titre Ier du livre IX du code de justice administrative

CE assemblée, 21 mars 2016, société Fairvesta International GmbH et autres : n° 368082

Afin de palier cet éparpillement, le Conseil d’État recycle ses lignes jurisprudentielles éparses et précise le principe général suivant :

Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en oeuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure.

Quand on sait le volume de notes et recommandations émises frénétiquement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (par exemple en matière de déplacement à vélo), il est aisé de conjecturer que cette approche rénovée sera mise en pratique dans les années à venir.

Et pour revenir à la « note d’actualité » relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil », ce document ne prive pas d’un examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens. Le Conseil d’État rejette donc la requête du GISITI.

Fin du DJ set 🎛️.


CE, 12 juin 2020, Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) : n°418142