Par une décision du 3 juin 2020, le Conseil d’État précise les larges effets d’une prescription spéciale : ici, conditionner la mise en œuvre d’un projet sous réserve de la production, avant démarrage des travaux, d’un acte de servitude.

Surtout, il confirme qu’une prescription spéciale peut avoir des effets à l’égard d’un tiers, au cas présent le propriétaire du fonds servant.

Le Tribunal administratif de Toulon était saisi d’un permis de construire sans accès à la voie publique. L’arrêté de permis précisait toutefois que « le présent arrêté est conditionné à la production, par le bénéficiaire, de l’acte authentique de servitude de passage (…) au plus tard au dépôt de la déclaration d’ouverture de chantier ».

Le Tribunal annule totalement l’arrêté pour deux motifs :

1/ la prescription dont est assorti le permis de construire ne pouvait pallier l’absence de titre valant servitude à la date de sa délivrance.

2/ la procédure de délivrance est irrégulière faute pour l’étude d’impact prescrite par l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement d’avoir été mise à la disposition du public avant la délivrance du permis.

Le Conseil d’État n’est pas de cet avis :

3. D’une part, le permis de construire, qui est délivré sous réserve des droits des tiers, a pour seul objet d’assurer la conformité des travaux qu’il autorise avec la réglementation d’urbanisme. Dès lors, l’autorité compétente et, en cas de recours, le juge administratif doivent, pour l’application des règles d’urbanisme relatives à la desserte et à l’accès des engins d’incendie et de secours, s’assurer de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie.
4. D’autre part, l’administration ne peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, aient pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect.

Une telle position n’est pas sans rappeler celle adoptée par la Haute juridiction, à propos de la plantation d’arbres sur le terrain d’un tiers :

si les requérants soutiennent que le préfet de la Nièvre a commis une erreur de droit en prescrivant la plantation de haies sur des parcelles privées, sans s’assurer de l’accord de leurs propriétaires, cette circonstance, à supposer que les propriétaires concernés n’aient pas donné leur accord à la date de délivrance des permis attaqués, n’est pas de nature à entacher d’illégalité ces derniers, qui ont été délivrés sous réserve des droits des tiers ; que la construction du parc d’éoliennes ne pourra, au demeurant, être légalement réalisée conformément aux permis délivrés qu’à la condition que les haies aient pu être plantées

CE, 15 octobre 2015, Madame E. : n°385114

Il est ainsi confirmé qu’une prescription ne doit pas nécessairement porter sur la réalisation de travaux ou d’aménagements complémentaires. Une telle prescription peut aussi sortir du strict champ de la conformité du projet à la règle. La prescription peut ainsi viser la sphère contractuelle privée et conditionner la réussite du projet à l’assentiment d’un tiers, non partie au litige.

Seule réserve : la modification doit porter sur un point précis et limité qui ne nécessite pas la présentation d’un nouveau projet, condition ici satisfaite selon le Conseil d’État.

De manière plus accessoire, le Conseil d’État souligne que le défaut de mise à disposition de l’étude d’impact prescrite par l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement est régularisable au visa de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. Régulariser, coûte que coûte.


CE, 3 juin 2020, société Compagnie Immobilière Méditerranée : n°427781