Par une dĂ©cision du 8 mars 2023, le Conseil d’État complète la panoplie de l’administration en matière de modification unilatĂ©rale des clauses d’un contrat. L’administration peut ainsi modifier unilatĂ©ralement une clause illicite, sans recours au juge.
L’on sait que l’administration dispose d’un pouvoir de modification unilatĂ©rale du contrat, pour motif d’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral (CE, 11 mars 1910, Compagnie gĂ©nĂ©rale française des tramways : n° 16178).
Ce principe prĂ©torien est repris dĂ©sormais Ă l’article L. 6 du Code de la commande publique :
L’autoritĂ© contractante peut modifier unilatĂ©ralement le contrat dans les conditions prĂ©vues par le prĂ©sent code, sans en bouleverser l’Ă©quilibre. Le cocontractant a droit Ă une indemnisation, sous rĂ©serve des stipulations du contrat.
Enfin, le Conseil d’État avait admis la possibilitĂ© pour l’administration d’Ă©carter, seulement pour l’avenir, une clause illicite (CE, 13 juin 2022, Centre hospitalier d’Ajaccio, n° 453769). Mais pas encore de la rĂ©Ă©crire. C’est dĂ©sormais chose possible :
En vertu des règles gĂ©nĂ©rales applicables aux contrats administratifs, la personne publique contractante peut unilatĂ©ralement apporter des modifications Ă un tel contrat dans l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral, son cocontractant Ă©tant tenu de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du contrat ainsi modifiĂ© tout en ayant droit au maintien de l’équilibre financier du contrat. La personne publique peut ainsi, lorsqu’une clause du contrat est affectĂ©e d’une irrĂ©gularitĂ© tenant au caractère illicite de son contenu et Ă condition qu’elle soit divisible du reste du contrat, y apporter de manière unilatĂ©rale les modifications permettant de remĂ©dier Ă cette irrĂ©gularitĂ©. Si la clause n’est pas divisible du reste du contrat et que l’irrĂ©gularitĂ© qui entache le contrat est d’une gravitĂ© telle que, s’il Ă©tait saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la rĂ©siliation, la personne publique peut, sous rĂ©serve de l’exigence de loyautĂ© des relations contractuelles, rĂ©silier unilatĂ©ralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au prĂ©alable le juge.
En l’espèce, le comitĂ© syndical du syndicat intercommunal de la pĂ©riphĂ©rie de Paris pour les Ă©nergies et les rĂ©seaux de communication (SIPPEREC) avait modifiĂ© unilatĂ©ralement trois conventions concĂ©dant la distribution d’électricitĂ© Ă la sociĂ©tĂ© Enedis.
Ont ainsi Ă©tĂ© modifiĂ©s les articles 31 B du cahier des charges de ces contrats traitant de l’indemnisation des concessionnaires dans l’hypothèse d’une absence de renouvellement de la concession Ă son terme ou d’une fin anticipĂ©e de celle-ci. Le SIPPEREC estimait en effet que lesdites stipulations Ă©taient, du fait d’une Ă©volution de la jurisprudence, devenues illicites en ce qu’elles prĂ©voyaient une indemnisation au titre des biens dits « de retour » susceptibles d’excĂ©der la valeur nette comptable desdits biens (voir sur ce point l’ordonnance objet du pourvoi : CAA Paris, 18 mai 2022 : n° 22PA01549).
La Cour avait ainsi écarté cette possibilité au motif que « cette prérogative ne peut en conséquence être mise en œuvre que si l’objet poursuivi est en rapport direct avec le service public concédé et ne saurait donc, en tout état de cause, être utilisé au seul motif de purger le contrat de stipulations illicites, que celles-ci l’aient été ab initio ou qu’elles les soient devenues ».
Prenant le contre-pied de la Cour, le Conseil d’État adoube la pratique consistant Ă modifier le contrat contenant une clause, ici devenue illicite par l’effet d’une Ă©volution jurisprudentielle, et en toute circonstance :
En jugeant que la modification unilatérale d’un contrat concédant un service public ne saurait être mise en œuvre au seul motif de purger le contrat de stipulations illicites, alors que, ainsi qu’il vient d’être dit, la personne publique peut modifier une clause illicite de manière à remédier à son irrégularité si celle-ci est divisible du reste du contrat, pour en déduire qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de la délibération dont la suspension lui était demandée, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit.
Partant, une telle modification ne crĂ©e pas un doute sĂ©rieux quant Ă la lĂ©galitĂ© des dĂ©libĂ©rations ayant autorisĂ© ces modifications (nous Ă©tions dans le cadre d’un dĂ©fĂ©rĂ© prĂ©fectoral, sans condition d’urgence requise).
Un « outil » contractuel à manier avec précaution, mais toujours intéressant à avoir dans sa besace juridique.
CE, 8 mars 2023, SIPPEREC : n°464619