Longtemps, il faudra se coucher de bonne heure avant de voir au loin, des éoliennes, aux abords du village d’Illiers-Combray.

Par une décision, du 4 octobre 2023, le Conseil d’État précise que pour apprécier une atteinte au paysage, il y a lieu de prendre en considération des éléments présentant, le cas échéant, des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires.

Une société souhaite installer huit éoliennes. Sa Recherche d’un site la conduit sur le territoire des communes de Montigny-le-Chartif et Vieuvicq. Or, le lieu d’implantation est étroitement lié à la vie et à l’œuvre de Marcel Proust. La préfète d’Eure-et-Loir lui refuse la délivrance d’une autorisation environnementale. La Cour de Versailles rejette sa demande d’annulation. Le Conseil d’État est saisi et rappelle d’abord les dispositions de l’article L. 350-1 A du Code de l’environnement :

Le paysage désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques.

Puis, de juger :

Aussi, une atteinte significative à cet ensemble scénique est caractérisée, non seulement à raison de la présence de deux monuments historiques, mais aussi d’un site remarquable, ainsi qu’à l’intérêt paysager et patrimonial du village d’Illiers-Combray.

la cour a notamment relevé que la réalisation du projet de parc éolien risquerait de porter une atteinte significative notamment à l’intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l’article L. 631-1 du code du patrimoine, du village d’Illiers-Combray et de ses abords. La cour a relevé que le classement de ce site, qui a le caractère d’une servitude d’utilité publique, trouve son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l’œuvre de Marcel Proust, dont un parcours pédestre favorise la découverte. Elle a également relevé que le clocher de l’église d’Illiers-Combray et le jardin du Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, sont classés au titre des monuments historiques. En prenant ainsi en considération des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage, pour juger que le projet litigieux n’était pas compatible avec l’exigence de protection des paysages résultant des dispositions de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

A contrario, pour quelques exemples récents et antérieurs : CAA Nancy, 3e ch. – formation à 3, 18 juill. 2023, n° 20NC00039 pour un projet d’éolienne non loin, notamment, d’un site archéologique et d’un château ; CAA Bordeaux, 5e ch., 4 juill. 2023, n° 21BX02902, sur le distinguo opéré entre un site « pas dénué d’intérêt » opposé au site dit « remarquable » ; CAA Douai, 1re ch. – formation à 3, 8 déc. 2022, n° 21DA00685, à propos du mémorial de Louverval, certes éloigné, mais en dépit de sa mention à la liste des sites inscrits au projet de classement UNESCO des sites funéraires et mémoriels de la première guerre.

Ce n’est donc pas seulement les caractères intrinsèques du paysage qui peut fonder un refus d’autorisation environnementale, mais aussi l’allusion soutenue qu’en fait un auteur – immense – au fil de son œuvre, et, par suite, sa composante immatérielle.

L’on relèvera l’incursion du Code du patrimoine pour assoir la position défendue, pourtant discutable au regard du principe d’indépendance des législations.

À la recherche de l’éolienne perdue… Ou comment une somme littéraire peut désormais peser dans l’appréciation du jugement administratif.


CE, 6-5 chr, 4 oct. 2023, société Combray Energie : n° 464855, Lebon T.