Par une décision du 12 juillet 2023, le Conseil d’État définit le régime de la résiliation des marchés publics d’assurance à l’initiative de l’assureur. À son niveau, chacun peut fourbir ses armes !

Dans cette affaire, le Grand port maritime de Marseille conclut une police d’assurance « dommages aux biens » avec un groupement conjoint. Le marché a une durée initiale de trois ans à compter du 1er janvier 2020, susceptible de deux reconductions tacites d’un an. Le marché prévoit que l’assureur ne peut pas les refuser si le Grand port maritime de Marseille décide d’y procéder.

Or, le groupement conjoint informe de son souhait de résilier ce marché à compter du 1er janvier 2023. Le Grand port maritime de Marseille s’oppose à cette résiliation et met en demeure le groupement de poursuivre l’exécution du marché à compter du 1er janvier 2023.

Acculé, le Grand port maritime de Marseille saisit le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative et demande d’enjoindre au groupement de maintenir, au moins jusqu’au 31 décembre 2023, la police d’assurances « dommages aux biens » et les garanties contractuelles qui en font l’objet dans les conditions prévues par le marché précité. La demande est rejetée au motif qu’elle se heurte à une contestation sérieuse.

Le Conseil d’État est saisi.

Les marchés d’assurance des personnes publiques sont des marchés publics

Par l’effet de l’article L. 6 du Code de la commande publique, les contrats d’assurance passés par les personnes publiques sont des marchés publics. Ils sont donc soumis : au pouvoir de contrôle de la personne publique, au principe de continuité du service public, au régime de l’imprévision et à la résiliation unilatéral du contrat par la personne publique, notamment.

A cet égard et à l’aune de la loi dite MURCEF de 2001, le Conseil d’État avait jugé que le droit des assurances ne comporte pas de dispositions incompatibles avec le droit des contrats administratifs et le droit des marchés publics (CE, 7e et 5e ss-sect. réunies, 28 avr. 2003, n° 233343, Lebon T. ; après avoir admis l’inverse : CE, sect., 12 oct. 1984, n° 34671, Lebon.).

Les marchés d’assurance des personnes publiques peuvent être résiliés par les assureurs

Néanmoins, l’article L. 133-12 du Code des assurances prévoit que « la durée du contrat et les conditions de résiliation, particulièrement le droit pour l’assureur et l’assuré de résilier le contrat tous les ans, sont fixées par la police. […] Dans les autres cas, l’assureur peut résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an, à la condition d’envoyer une lettre recommandée à l’assuré au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat.« 

Comment concilier cette faculté avec les principes applicables aux marchés publics, particulièrement celui de continuité du service public ? Le Conseil d’État y répond en ces termes :

Il résulte de ces dispositions que l’assureur a la faculté de résilier unilatéralement le contrat à l’expiration d’un délai d’un an suivant sa conclusion, avec un préavis d’au moins deux mois. Le contrat peut prévoir une durée de préavis plus longue lorsque l’assuré est une personne morale. Ces dispositions sont applicables aux marchés publics d’assurance. Il résulte toutefois des principes généraux applicables aux contrats administratifs que lorsque l’assureur entend en faire application pour résilier unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d’assurance, cette dernière peut, pour un motif d’intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, s’y opposer et lui imposer de poursuivre l’exécution du contrat pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché public d’assurance, sans que cette durée ne puisse en toute hypothèse excéder douze mois, y compris lorsque la procédure s’avère infructueuse.

En clair, la résiliation à l’initiative de l’assureur est possible, mais elle doit être conciliée avec les exigences du service public et l’impossibilité de souscrire sans délai utile un nouveau contrat compte tenu du respect des règles de publicité et de mise en concurrence.

On retrouve ici les lignes tracées par la décision rendue en 2014 dans laquelle le Conseil d’État a admis (sous réserve) que le cocontractant de l’administration puisse être à l’initiative de la résiliation (CE, 8 octobre 2014, Société Grenke location : n°370644). Dans cette décision, la personne publique doit être mise en mesure de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public.

Mais l’assureur n’est cependant pas sans réponse…🃏

Les assureurs peuvent contester la mesure de prolongation du contrat pour obtenir une résiliation anticipée du marché

Et le Conseil d’État d’ajouter :

L’assureur peut contester cette décision devant le juge afin d’obtenir la résiliation du contrat.

Autrement dit, il peut critiquer le motif d’intérêt général, la durée pendant laquelle l’exécution du marché se poursuit, voire le risque auquel est exposé la personne publique de déplorer des biens non couverts par une police.

On retrouve là encore les lignes tracées par une autre décision rendue en 2009 dans laquelle le Conseil d’État admet la possibilité de résilier un contrat public à l’initiative du cocontractant de l’administration, sous réserve que la décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général (CE, ass., 28 déc. 2009, Béziers : n° 304802, Lebon.)

Au cas présent, c’est précisément à cet exercice d’analyse que se livre le Conseil d’État en précisant que :

le motif invoqué par le Grand port maritime de Marseille pour s’opposer à la résiliation unilatérale par la compagnie d’assurances AFM du contrat qui les lie, tiré de la nécessité que les dommages aux biens concourant au bon accomplissement des missions de service public qui lui sont confiées soient couverts par une police d’assurance, constitue un motif d’intérêt général justifiant la poursuite de l’exécution du marché en application des principes rappelés au point 4. Il résulte par ailleurs de l’instruction que le refus de la compagnie d’assurances AFM d’exécuter le contrat à compter du 1er janvier 2023 priverait ces biens de garantie contre les risques mentionnés au point 9, et que cette absence d’assurance serait, dans les circonstances de l’espèce, de nature à compromettre l’exercice de certaines missions de service public en cas de sinistre majeur. Enfin, dans les circonstances de l’espèce, le délai de préavis de six mois prévu par le contrat en cas de résiliation était insuffisant pour procéder à un appel d’offres ouvert. Par suite, la mesure demandée, qui est ainsi nécessaire à la continuité et au bon fonctionnement du service public confié au Grand port maritime de Marseille, présente un caractère d’urgence et d’utilité, et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Dès lors qu’elle ne fait pas non plus obstacle à l’exécution d’une décision administrative, il y a lieu d’ordonner au groupement conjoint composé de la société Montmirail – Groupe Verspieren et de la compagnie d’assurances AFM de reprendre intégralement l’exécution des prestations auxquelles ces sociétés sont obligées par le contrat en litige, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché d’assurance par le Grand port maritime de Marseille, sauf à ce que ce dernier y renonce, et au plus tard, dans les circonstances de l’espèce, jusqu’au 31 décembre 2023.

Point de contestation sérieuse, donc. Ici, le Grand port maritime de Marseille sort la tête haute de la bataille (navale). Ou comme la résiliation d’un tel contrat est devenu un véritable…jeu tactique.


CE, 7-2 chr, 12 juill. 2023, Grand port maritime de Marseille : n° 469319, Lebon T.