Par un jugement du 26 janvier 2023, le Tribunal administratif de Rouen est le premier Ă  annuler une « charte promoteur », autrement dit un document contraignant les pĂ©titionnaires des autorisations d’urbanisme, surajoutĂ© aux règles du PLU.

DĂ©jĂ  rĂ©cemment inquiĂ©tĂ©s (et freinĂ©s) dans la pratique courante de demander avec zèle des pièces complĂ©mentaires en cours d’instruction (CE, sect., 9 dĂ©c. 2022, n° 454521, Lebon.), les services instructeurs sont de nouveau dans le doute.

Et pour cause, nombreuses sont les communes Ă  avoir adoptĂ© des « chartes promoteur » (ou « charte d’urbanisme ») contenant le plus souvent des prescriptions complĂ©tant les PLU applicables (couleur, orientation, paysagisme, etc.) ou impliquant certains engagements conditionnant la dĂ©livrance de l’autorisation (rencontrer les riverains d’un projet, organiser une rĂ©union publique, etc.).

Le conseil municipal de la commune de Bois-Guillaume était de celle-ci et avait adopté une « Charte de l’urbanisme et du cadre de vie ».

À la demande du préfet, la délibération est déférée. Le Tribunal juge la commune incompétente pour adopter un tel acte :

Le conseil municipal de la commune de Bois-Guillaume a entendu « fixer les règles du jeu en matière de construction, d’aménagement et d’urbanisme » et estimé « nécessaire d’établir un référentiel commun qui dépasse le seul cadre réglementaire du Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi), par une approche plus qualitative et circonstanciée ». A cet égard, la charte fixe des « engagements » qui « devront () être scrupuleusement appréhendés dans chaque opération » par les opérateurs immobiliers signataires de ce document. La délibération précise que « cette charte, après avoir été approuvée en conseil municipal, sera signée par l’ensemble des opérateurs immobiliers ».

4. Au vu de ses termes, et notamment de la nature des « engagements » qu’elle prĂ©voit, la « Charte de l’urbanisme et du cadre de vie » de Bois-Guillaume doit ĂŞtre regardĂ©e comme imposant aux opĂ©rateurs immobiliers concernĂ©s des règles impĂ©ratives en matière « d’amĂ©nagement de l’espace mĂ©tropolitain », au sens des dispositions prĂ©citĂ©es de l’article L. 5217-2 du code gĂ©nĂ©ral des collectivitĂ©s territoriales, relevant, par leur nature, du plan local d’urbanisme. Par suite, la commune de Bois-Guillaume n’était pas compĂ©tente pour adopter de telles prescriptions en matière d’urbanisme, alors qu’il est constant que ce champ de compĂ©tences est dĂ©volu Ă  la mĂ©tropole Rouen Normandie, dont est membre la commune de Bois-Guillaume.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’amĂ©nager ou de dĂ©molir et les dĂ©clarations prĂ©alables sont prĂ©sentĂ©es et instruites dans les conditions et dĂ©lais fixĂ©s par dĂ©cret en Conseil d’Etat. / Le dossier joint Ă  ces demandes et dĂ©clarations ne peut comprendre que les pièces nĂ©cessaires Ă  la vĂ©rification du respect du droit de l’Union europĂ©enne, des règles relatives Ă  l’utilisation des sols et Ă  l’implantation, Ă  la destination, Ă  la nature, Ă  l’architecture, aux dimensions et Ă  l’assainissement des constructions et Ă  l’amĂ©nagement de leurs abords ainsi que des dispositions relatives Ă  la salubritĂ© ou Ă  la sĂ©curitĂ© publique ou relevant d’une autre lĂ©gislation dans les cas prĂ©vus au chapitre V du prĂ©sent titre. () / Aucune prolongation du dĂ©lai d’instruction n’est possible en dehors des cas et conditions prĂ©vus par ce dĂ©cret. () ». L’article R. 431-4 du code de l’urbanisme prĂ©cise que :  » La demande de permis de construire comprend : / a) Les informations mentionnĂ©es aux articles R. 431-5 Ă  R. 431-12 ; / b) Les pièces complĂ©mentaires mentionnĂ©es aux articles R. 431-13 Ă  R. * 431-33-1 ; / c) Les informations prĂ©vues aux articles R. 431-34 et R. 431-34-1. / Pour l’application des articles R. 423-19 Ă  R. 423-22, le dossier est rĂ©putĂ© complet lorsqu’il comprend les informations mentionnĂ©es au a et au b ci-dessus. / Aucune autre information ou pièce ne peut ĂŞtre exigĂ©e par l’autoritĂ© compĂ©tente. « .

6. Il résulte de ces dispositions que les demandes relatives à l’utilisation des sols et à l’implantation des constructions ne peuvent être instruites que dans les conditions fixées par les dispositions législatives et réglementaires du code de l’urbanisme, qui définissent de manière limitative les informations ou pièces pouvant être exigées par l’autorité compétente.

7. Au vu de ses termes, et notamment de la nature de certains des « engagements » qu’elle prévoit, la « Charte de l’urbanisme et du cadre de vie » de Bois-Guillaume doit être regardée comme imposant aux opérateurs immobiliers concernés des règles impératives relatives à la conception et à la réalisation de projets de construction, relevant, par leur nature, de la loi ou du règlement. Par suite, la commune de Bois-Guillaume n’était pas compétente pour imposer de telles prescriptions en matière d’urbanisme.

S’il est inĂ©dit en tant qu’elle annule directement la dĂ©libĂ©ration approuvant une telle charte, la question de l’opposabilitĂ© de ces documents n’est pas nouvelle. Un Tribunal avait dĂ©jĂ  jugĂ© son inopposabilitĂ© Ă  une demande de permis (TA Bordeaux, 31 mars 2011, n° 0804860). Un autre n’a pas tenu compte d’une charte renforçant la tendance Ă  la rĂ©duction, voire Ă  la suppression des surfaces minimale, tandis que dĂ©fĂ©rĂ© par le prĂ©fet, un PLU exigeait (Ă  tort) une surface minimale de 1200 m² pour construire (TA Toulouse, 19 fĂ©vr. 2014 : n° 1101039).

Pour les règles d’urbanisme : que le PLU, rien que le PLU ; Pour les règles d’instruction : que le Code de l’urbanisme, rien que le Code de l’urbanisme ? Le Tribunal administratif de Rouen ouvre en tout cas la voie…et elles sont pourtant (et parfois) bien utiles, ces chartes.


TA Rouen, 2e ch., 26 janv. 2023 : n° 2202586.