Toujours et encore Grenke…mais avec un défibrillateur cette fois (les copieurs, c’est OK Boomer).

Par un arrêt du 22 mars 2022, la Cour administrative d’appel de Nancy offre une nouvelle illustration de la faculté offerte au cocontractant de résilier le marché qui le lie à l’administration, sous condition.

L’on sait depuis 2014 que le Conseil d’État admet (sous réserve) que le cocontractant de l’administration puisse être à l’initiative de la résiliation (CE, 8 octobre 2014, Société Grenke location : n°370644).

L’on sait aussi que le Conseil d’État a atténué la portée de sa décision rendue en 2014 et décidé d’opérer un contrôle de proportionnalité de l’indemnité de résiliation due par la personne publique et prévue au contrat (CE, 3 mars 2017, société Leasecom : n°392446).

Les Cours administratives d’appel ont repris cette faculté de moduler le montant de cette indemnité de résiliation, comme l’illustre un récent de la Cour de Paris précédant de quelques jours seulement la décision commentée.

Ici, point de copieur en crédit-bail, mais un défibrillateur 🫀⚡. La société Grenke est encore à la manœuvre.

Cette dernière et une commune ont conclu en septembre 2014 un contrat par lequel la société s’engageait à acheter auprès de la société Mydefib deux défibrillateurs pour une durée de soixante-trois mois en contrepartie du versement d’un loyer trimestriel de 360 euros TTC.

La société Grenke a résilié le marché au motif de loyers impayés. Les premiers juges ont condamné la commune au versement de la somme de 4.739,51 euros, assortie de l’obligation de restituer le matériel.

La Cour de Nancy rappelle le principe :

En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. Si l’étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations contractuelles, l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités fait toutefois obstacle à ce que ces stipulations prévoient une indemnité de résiliation qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation, résultant, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a été privé.

[…]

le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat. Il est toutefois loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n’a pas pour objet l’exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles.

Appliquant ces principes aux faits et assez logiquement, la Cour précise :

Le contrat en litige qui ne porte que sur la location de défibrillateurs n’a ni pour objet, ni pour effet de confier à la société Grenke Location la charge d’assurer l’exécution même d’un service public. Par suite, la clause de résiliation du contrat en litige n’est pas, contrairement à ce que soutient l’appelante, illicite.

Sur l’aspect financier du litige, il est jugé :

en application des stipulations citées au point 6, la société Grenke Location a demandé le versement d’une indemnité de 4 739,51 euros correspondant aux loyers échus, aux intérêts, aux loyers à échoir et à une indemnité de recouvrement. Contrairement à ce que soutient la commune, cette indemnité ne constitue pas une libéralité dès lors qu’en la percevant, la société Grenke aura obtenu une somme inférieure à ce qu’elle aurait perçu si le contrat était allé à son terme et qu’il ne résulte pas de l’instruction que la restitution du matériel ordonnée par le tribunal, cinq ans après sa mise en service, puisse procurer à la société un bénéfice par sa revente ou location.

En somme, le principe de proportionnalité de l’indemnité de résiliation n’est pas à l’œuvre ici, principalement car la société Grenke aura obtenu une somme inférieure à ce qu’elle aurait perçu si le contrat était allé à son terme. Le déchoquage tenté en appel par la commune n’aura donc pas réussi.


CAA Nancy, 22 mars 2022, commune de Rochereau : n°19NC02657.