Par une décision du 22 juillet 2020, le Conseil d’État admet la possibilité d’exciper de l’illégalité d’un futur plan, à l’appui d’un recours dirigé contre un sursis à statuer. S’il paraissait difficile de concevoir l’exception d’illégalité d’un acte qui n’a pas (encore) d’existence juridique, la Haute juridiction l’admet pourtant, en creux. Le soucis de pragmatisme juridique laisse donc place à l’orthodoxie. Spoil : la décision ne dit pas si la toupie s’arrête de tourner 😉

Rappels s’agissant du sursis à statuer

Commençons par quelques rappels : un sursis à statuer peut être opposé à une demande d’autorisation d’urbanisme lorsqu’elle est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan.

L’autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l’article L. 424-1, sur les demandes d’autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan dès lors qu’a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable.

article L. 153-11 du Code de l’urbanisme

Ce sursis peut être opposé pendant une durée maximale de deux ans. Elle vise a éviter l’effet d’aubaine consistant à précipiter un projet avant qu’une nouvelle règle plus contraignante soit applicable au terrain d’assiette du projet, ou encore éviter de compromettre un projet d’ensemble envisagé au futur plan.

Dans ce cadre, l’autorité compétente qui décide de surseoir à statuer confronte le projet au plan en cours d’élaboration. Elle vérifie en quelque sorte sa comptabilité avec la future orientation d’aménagement, voire sa contrariété manifeste avec celle-ci en présence d’un zonage modifié à la faveur d’une zone naturelle ou agricole.

Innovation du Conseil d’État

Jusqu’à présent, il était plutôt incongru d’imaginer contester la légalité d’un futur plan dans la mesure où, précisément, ce dernier n’est pas adopté. La jurisprudence s’y refusait d’ailleurs (CE, 17 mars 1982, SCI Le Bas Chevincourt : n° 24962). Le Conseil d’État voit désormais les choses autrement et précise :

un sursis à statuer ne peut être opposé à une demande de permis de construire qu’en vertu d’orientations ou de règles que le futur plan local d’urbanisme pourrait légalement prévoir, et à la condition que la construction, l’installation ou l’opération envisagée soit de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour n’aurait pu sans erreur de droit, pour apprécier la légalité de la décision de sursis à statuer opposée à Mlle B…, examiner la légalité du futur plan local d’urbanisme ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.

Enfin, la cour n’ayant mentionné qu’à titre surabondant que le projet de plan local d’urbanisme ne classe en zone N – « zone humide » – que le fossé relié à l’affluent du Lieutel et une seule des mares, située sur un terrain déjà construit jouxtant la parcelle d’assiette du projet, le moyen tiré par la commune de ce que cette mention serait entachée de dénaturation ne peut qu’être écarté comme inopérant.

L’on comprend à la lecture de l’arrêt plus bavard de la Cour et dont est saisi le Conseil d’État que les juges d’appel se sont penchés -certes, timidement- sur la pertinence du zonage naturel :

Il ne ressort pas des pièces du dossier […] que le projet en cause, dès lors que par son importance et sa localisation en continuité de l’urbanisation existante il ne remettrait pas en cause la pérennité d’une mare ou de l’affluent du Lieutel, serait de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme, qui a pour objet de protéger les mares et l’affluent du Lieutel, en ne classant au demeurant en zone N – « zone humide » – que le fossé relié à l’affluent du Lieutel et une seule des mares, située sur un terrain déjà construit jouxtant la parcelle d’assiette du projet.

CAA Versailles, 22 novembre 2018 : n° 17VE00223.

Autrement dit, une décision de sursis à statuer peut être annulée si le projet litigieux ne compromet pas ou ne rend pas plus onéreuse l’exécution d’un PLU, mais également si les règles de ce futur PLU justifiant cette décision sont illégales.

Une telle initiative a le mérite de mettre en évidence en amont une illégalité du futur plan. Elle permet ainsi aux auteurs du plan de « corriger le tir » et anticiper le risque contentieux d’un recours parallèle (ou futur, mais plus rare vu la temporalité) dirigé contre la délibération d’approbation du PLU.

Mais une telle initiative heurtera les plus orthodoxes des spécialistes de Droit public qui pourraient s’étonner que l’appréciation de la légalité d’un PLU en projet puisse avoir des conséquences sur un acte en vigueur, ici un sursis à statuer. Mais l’examen du futur plan présente également des vertus pédagogiques et prophylactiques : préfigurer l’avenir pour tenter de le corriger, en quelque sorte.


CE, 22 juillet 2020, commune de La Queue-les-Yvelines : n° 427163, Lebon.