Par une dĂ©cision 18 dĂ©cembre 2024, le Conseil dâĂtat ne donne guĂšre d’espoir au permis de construire obtenu par fraude : infectĂ©, une rĂ©gularisation n’est pas possible au moyen d’un permis modificatif.
En 2022, un permis de construire est dĂ©livrĂ© Ă une sociĂ©tĂ© d’HLM pour transformer un bĂątiment existant en douze logements. Les riverains ont contestĂ© ce permis, arguant que des informations erronĂ©es avaient Ă©tĂ© fournies intentionnellement pour tromper l’administration. Des stationnements Ă©taient prĂ©vus sur une parcelle non visĂ©e au dossier de permis : injection du venin.
Un permis modificatif a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© en 2023, mais les riverains ont maintenu leur contestation, estimant que la fraude initiale ne pouvait pas ĂȘtre purgĂ©e.
La fraude corrompt tout
L’on sait que le permis de construire obtenu par fraude est un acte administratif unilatĂ©ral qui n’est pas crĂ©ateur de droits et peut ĂȘtre retirĂ© Ă tout moment par l’administration. La fraude est caractĂ©risĂ©e lorsque le pĂ©titionnaire a intentionnellement trompĂ© l’administration sur la rĂ©alitĂ© du projet pour Ă©chapper Ă l’application d’une rĂšgle d’urbanisme.
Contrairement Ă d’autres vices, la fraude ne peut jamais ĂȘtre rĂ©gularisĂ©e par un permis modificatif, mĂȘme si ce dernier est susceptible de corriger les irrĂ©gularitĂ©s initiales. En consĂ©quence, un permis obtenu par fraude est toujours en sursis. Il peut ĂȘtre contestĂ© Ă tout moment, indĂ©pendamment de l’obtention ultĂ©rieure d’un permis modificatif (CE, sect. cont., 29 nov. 2002, n° 223027, Lebon ; CE, 1-4 chr, 28 nov. 2024, n° 475461, Lebon T.).
La fraude hermétique aux voies de la régularisation
L’on sait Ă©galement que le droit de l’urbanisme se veut trĂšs ouvert aux voies de la rĂ©gularisation, qu’elle soit Ă l’initiative du juge ou permise par le Code de l’urbanisme. Ainsi, et en premier lieu, lorsqu’un permis de construire initial a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© en mĂ©connaissance des dispositions lĂ©gislatives ou rĂ©glementaires relatives Ă l’utilisation du sol ou sans respect des formes ou des formalitĂ©s prĂ©alables, l’illĂ©galitĂ© peut ĂȘtre rĂ©gularisĂ©e par un permis modificatif. Ce dernier doit assurer le respect des rĂšgles de fond applicables au projet, rĂ©pondre aux exigences de forme ou avoir Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© de l’exĂ©cution rĂ©guliĂšre des formalitĂ©s omises (CE, 2 fĂ©vr. 2004, sociĂ©tĂ© la Fontaine de Villiers, n°238315).
En deuxiĂšme lieu, le juge peut prendre l’initiative de rĂ©gulariser un permis de construire illĂ©gal. Il peut prononcer une annulation partielle et fixer un dĂ©lai dans lequel le titulaire du permis pourra demander sa rĂ©gularisation, conformĂ©ment Ă l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme. De plus, le juge peut surseoir Ă statuer jusqu’Ă l’expiration d’un dĂ©lai fixĂ© pour permettre au titulaire du permis de rĂ©gulariser l’irrĂ©gularitĂ© constatĂ©e, en vertu de l’article L. 600-5-1 du mĂȘme Code.
En troisiĂšme lieu, la rĂ©gularisation peut Ă©galement ĂȘtre spontanĂ©e et initiĂ©e par le titulaire du permis de construire. Une demande de permis modificatif pour rĂ©gulariser un permis illĂ©gal peut ĂȘtre faite par le titulaire du permis, que ce soit pendant une instance en cours ou en dehors de celle-ci.
Cependant, la fraude ne fait pas partie des vices susceptibles d’ĂȘtre rĂ©gularisĂ©s. Le Conseil d’Ătat avait ainsi et rĂ©cemment jugĂ© que la fraude ne peut ĂȘtre rĂ©gularisĂ©e par un sĂ©rum permis modificatif Ă l’initiative du juge, laissant entrevoir le peu d’espoir que pouvait nourrir le pĂ©titionnaire s’il en avait Ă©tĂ© l’initiative (CE, 10-9 chr, 11 mars 2024, n° 464257, Lebon T.).
Le juge de cassation parachĂšve la construction du rĂ©gime de la fraude. Il prĂ©cise aux termes d’une formulation inĂ©dite et lĂ©tale :
Lorsquâun permis de construire initial a Ă©tĂ© dĂ©livrĂ© en mĂ©connaissance des dispositions lĂ©gislatives ou rĂ©glementaires relatives Ă lâutilisation du sol ou sans que soient respectĂ©es des formes ou formalitĂ©s prĂ©alables Ă la dĂ©livrance des permis de construire, lâillĂ©galitĂ© qui en rĂ©sulte peut ĂȘtre rĂ©gularisĂ©e par la dĂ©livrance dâun permis modificatif dĂšs lors que celui-ci assure le respect des rĂšgles de fond applicables au projet en cause, rĂ©pond aux exigences de forme ou a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© de lâexĂ©cution rĂ©guliĂšre de la ou des formalitĂ©s qui avaient Ă©tĂ© omises. Les irrĂ©gularitĂ©s ainsi rĂ©gularisĂ©es ne peuvent plus ĂȘtre utilement invoquĂ©es Ă lâappui dâun recours pour excĂšs de pouvoir dirigĂ© contre le permis initial. Toutefois, lorsquâun permis de construire a Ă©tĂ© obtenu par fraude, lâillĂ©galitĂ© qui en rĂ©sulte nâest pas de nature Ă ĂȘtre rĂ©gularisĂ©e par la dĂ©livrance dâun permis de construire modificatif. Il sâensuit quâune telle illĂ©galitĂ© peut ĂȘtre utilement invoquĂ©e Ă lâappui dâun recours pour excĂšs de pouvoir dirigĂ© contre le permis initial alors mĂȘme quâun permis modificatif aurait Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©.
Bref, la fraude est un poison qui ne connaĂźt pas d’antidote. Une fois injectĂ©e, la rĂ©mission est inenvisageable : l’issue irrĂ©versible est l’annulation.
CE, 1-4 chr, 18 déc. 2024, n° 490711, Lebon T.