Par une décision du 9 juin 2021, le Conseil d’État précise qu’en matière de contentieux portant sur la validité d’un contrat, le juge n’est pas lié par les conclusions des parties.
Il peut donc résilier, voire annuler – totalement ou partiellement, même avec effet différé – le contrat, sans être contraint par les écritures qui lui sont soumises.
Dans la décision commentée, le Conseil d’État commence par rappeler le principe ainsi dégagé :
Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles
Saisi d’un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses par un tiers justifiant que la passation de ce contrat l’a lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, il appartient au juge du contrat, en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.
Les faits : un cabinet d’avocat évincé conteste l’attribution d’un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage et d’accompagnement juridique pour la construction et la gestion d’un crématorium. Devant le Tribunal, il demande la résiliation du marché. Devant la Cour, il demande aussi et pour la première fois l’annulation du contrat. Alors, conclusions nouvelles irrecevables en appel ?
Le Conseil d’État répond non et en ces termes :
Il résulte de ce qui précède que le juge du contrat saisi par un tiers de conclusions en contestation de la validité du contrat ou de certaines de ses clauses dispose de l’ensemble des pouvoirs mentionnés au point précédent et qu’il lui appartient d’en faire usage pour déterminer les conséquences des irrégularités du contrat qu’il a relevées, alors même que le requérant n’a expressément demandé que la résiliation du contrat. Par suite, en considérant que les écritures par lesquelles M. A… faisait valoir devant elle que les vices entachant le contrat étaient de nature à entraîner son annulation constituaient des conclusions nouvelles en appel et par suite irrecevables au motif qu’il n’avait demandé au tribunal administratif que la résiliation du contrat, alors que les conclusions de M. A… devaient être regardées dès l’introduction de la requête devant le tribunal comme contestant la validité du contrat et permettant au juge, en première instance comme en appel, si les conditions en étaient remplies, de prononcer, le cas échéant d’office, l’annulation du contrat, la cour […] a commis une erreur de droit.
La décision conforte assurément le caractère inquisitoire de la procédure administrative contentieuse. Mais alors, quelle est (encore) la place des parties, qui selon les cas peuvent plutôt avoir intérêt à rechercher une annulation en lieu et place d’une résiliation, et vice versa ?
Bref, en matière contractuelle, le juge peut désormais tout.
CE, 9 juin 2021, Conseil National Des Barreaux : n°438047 | 438054