A quel Saint se vouer ? On savait la matière ardue et deux décisions du Tribunal des Conflits rendues en 2015 avaient tenté de clarifier les lignes : le sous-traitant d’un marché de travaux est orienté vers le juge judiciaire en matière d’action en garantie, par exemple.

Néanmoins, par une décision du 8 février 2021, le Tribunal des Conflits floute les lignes de fuite et précise que le juge administratif est compétent pour connaître des litiges ayant trait à la responsabilité quasi-délictuelle, entre cotraintants.

Relevant ni du revirement, ni l’arrêt de clarification, la portée de la décision à de quoi décontenancer.

Les faits : le CHU de Nice conclut un marché de terrassement avec un groupement dont font partie les sociétés Fayat Bâtiment et Pro-Fond. Le chantier est interrompu. La société Pro-Fond en tire un préjudice est recherche la responsabilité des autres membres du groupement. Le juge judiciaire se déclare incompétent. Le Tribunal administratif de Nice fait de même en précisant que « les conclusions de la société Pro-Fond tendant à la condamnation de la société Fayat Bâtiment à laquelle elle était liée par un contrat de droit privé ainsi que les conclusions de la société Fayat Bâtiment dirigées contre la société Pro-Fond, présentées en dehors de tout litige les opposant au maître de l’ouvrage ne relevaient pas de la compétence de la juridiction administrative« .

Aux yeux du Tribunal administratif, le lien contractuel de droit privé a la primeur et doit emporter la compétence du juge judiciaire, comme on pouvait d’ailleurs s’y attendre. Le Tribunal des Conflits est saisi.

Ce dernier commence par rappeler que :

Le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé.

A rapprocher de : TC, 10 décembre 2018, sociétés Egis Bâtiments Centre Ouest et Jean Pierre Renault architecte : n° 4144.

Jusque-là, tout va bien, mais le Tribunal des Conflits ajoute :

Les sociétés Fayat Bâtiment et Pro-Fond, membres d’un même groupement titulaire d’un marché de travaux publics, ont l’une et l’autre poursuivi la responsabilité quasi-délictuelle de leur co-traitant et présenté des conclusions tendant à la condamnation de celui-ci à réparer le préjudice qu’elles estiment avoir subi à raison de fautes qu’il a commises au cours de l’exécution du contrat conclu avec le maître de l’ouvrage. Alors même que les deux co-traitants sont par ailleurs liés par un contrat de droit privé, un tel litige, qui ne concerne pas l’exécution de ce contrat de droit privé et qui implique que soient appréciées les conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté, relève de la juridiction administrative.

C’est donc l’appréciation des conditions dans lesquelles un contrat portant sur la réalisation de travaux publics a été exécuté qui prime sur la nature contractuelle du lien entre constructeurs. Un critère subjectif, en somme, et dont l’évidence est souvent révélée après une longue expertise ou a minima, des investigations.

Autrement dit, le débat ne porte pas tant sur l’exécution du contrat de groupement liant les sociétés Fayat Bâtiment et Pro-Fond, mais sur la façon doit le marché de travaux conclu avec le CHU de Nice, maître de l’ouvrage public, a été exécuté. Et l’on retrouve ici la responsabilité quasi-délictuelle, non pas la responsabilité contractuelle.

Bref, heureux le confrère qui assignera -ou déposera sa requête sur Télérecours- sans tergiversation ni sueur !


TC, 8 février 2021, sociétés Fayat Bâtiment et Pro-Fond : n°4203

Rapprocher de :

TC, 16 novembre 2015, Métropole européenne de Lille : n°4029

TC, 9 février 2015, société ACE Insurance : n°3983

TC, 10 décembre 2018, sociétés Egis Bâtiments Centre Ouest et Jean Pierre Renault architecte : n° 4144