Par un arrêt de la Chambre du contentieux de la Cour des Comptes du 1er juillet 2025, il est admis de manière inédite que l’absence de liquidation des pénalités de retard constitue une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses.
La refonte du CJF
Depuis l’ordonnance du 23 mars 2022, et donc depuis le 1er janvier 2023, le Code des juridictions financières a été profondément refondu en vue, notamment, d’unifier l’organisation juridictionnelle entre les CRCTC et la CDBF. La réforme vise notamment à favoriser la responsabilité des gestionnaires publics avec la mise en œuvre d’un régime procédural et grâce à une individualisation des sanctions infligées aux gestionnaires publics. Désormais, ne sont plus sanctionnés des manquements, mais des fautes graves relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens des entités publiques, notamment (art. L. 131-9 du CJF).
Dans la présente affaire, il était reproché à l’ancienne directrice de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) d’avoir, par défaut de surveillance et de contrôle, commis, dans la conclusion de deux contrats de production ou de distribution de vidéogrammes et dans l’exécution d’un contrat de modification d’une installation de chauffage, des manquements constitutifs de l’infraction précité (ainsi que l’octroi d’un avantage injustifié une association, mais ce n’est ici l’objet) : en clair, ne pas avoir récupéré 162 034,51 € de pénalités de retard. Comme directrice de l’ECPAD, elle avait pourtant pour mission de : diriger l’établissement, d’ordonner les recettes et les dépenses, conclure les marchés, contrats et conventions, en rendre compte au conseil d’administration, et enfin, exercer le pouvoir hiérarchique sur les personnes affectées à l’établissement.
Recouvrer or not recouvrer ses pénalités ?
Rappelons en parallèle que :
Les pénalités de retard prévues par les clauses d’un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu’est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d’exécution contractuellement prévus ; qu’elles sont applicables au seul motif qu’un retard dans l’exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n’aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.
CE, 19 juillet 2017, CHIPEA : n° 392707
Les pénalités ont donc le caractère d’une réparation forfaitaire automatique. Bien que le Conseil d’Etat ait pu laisser entendre que le recouvrement soit facultatif (CE, 15 mars 1999, M. Guy X…c. commune de l’Entre-Deux : n°190720), les juridictions financières ne sont pas de cet avis et préconisent leur application systématique (par exemple : Rapport CRC Bretagne, Exercices 2016 et suivants Quimperlé Communauté).
Mieux vaut être près de ses sous
Remettant la pénalité au milieu du village, la Cour des Comptes a jugé :
50. Pour la mise en œuvre des dispositions des articles L. 313-4 puis L. 131-9 du CJF, la circonstance que la responsabilité du comptable de l’organisme en cause ait été mise en jeu à raison des mêmes dépenses que celles reprochées à l’ordonnateur et qu’il ait été constitué débiteur envers cette collectivité ou cet organisme par le juge des comptes n’est pas de nature à effacer l’existence d’un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, lequel s’apprécie de surcroît au moment où la faute est commise. La seule mention de la mise en débet du comptable de l’ECPAD est donc sans effet sur la présente instance.
51. L’absence de liquidation des pénalités de retard constitue une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses. Si comme le soutient Mme X, la procédure d’ordonnancement fait intervenir le département de la commande publique, le directeur adjoint et le secrétaire général, elle n’en reste pas moins l’ordonnateur de l’établissement public et n’a consenti que des délégations de signature. Elle demeure donc responsable des actes de ses subordonnés. Ainsi qu’il a été dit précédemment, une amende peut être infligée sur le fondement de l’article L. 131-9 du CJF au dirigeant d’un organisme soumis au contrôle de la Cour lorsqu’un manquement au devoir de contrôle et de surveillance inhérent à ses fonctions a permis que soient commises des atteintes aux règles fixées par cet article.
En d’autres termes, la mise en débet du comptable de l’ECPAD ne saurait exonérer la directrice de sa responsabilité. La Cour précise pour la première fois que l’absence de liquidation des pénalités de retard constitue une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses. En outre, même si la procédure d’ordonnancement implique plusieurs acteurs – le département de la commande publique, le directeur adjoint et le secrétaire général –, la directrice, en tant qu’ordonnateur principal, reste responsable des actes de ses subordonnés. Elle ne peut se décharger de cette responsabilité en invoquant des délégations de signature.
Pour l’ « ensemble de son œuvre« , l’intéressée écope d’une sanction de 2000 €. Ce montant, bien que modeste au regard des sommes en jeu, envoie néanmoins un signal clair : les gestionnaires publics sont tenus à une vigilance accrue dans l’exécution de leurs missions.
L’arrêt met ainsi en lumière les exigences accrues en matière de responsabilité financière des gestionnaires publics, tout en illustrant les enjeux managériaux liés à la passation et à l’exécution des contrats publics.
Cour des Comptes, Ch. du contentieux, 1er juillet 2025, Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) : n° 796 – n° S-2025-0944