La Ville d’Amiens aurait-elle trouvé la parade ? Par une ordonnance discrète du Président du Tribunal administratif d’Amiens du 27 février 2025, le principe de l’installation d’une crèche de la nativité sur la voie publique est admis. Très exactement au croisement des rues des 3 Cailloux et Robert de Luzarches, pour les picardes et les picards.

Alors que la décision est rendue sur le fondement du 7° de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative, son rédacteur a pourtant pris soin de la motiver pour nous permettre d’y voir moins flou. Et c’est tout l’intérêt de la décision.

Rappel de la loi de 1905

Il convient d’abord de rappeler les termes de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État dispose :

Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

En clair :

  • À l’avenir : seuls les emblèmes apposés après 1905 sont concernés, préservant les signes et emblèmes religieux existant à cette date ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement (CE, 10e – 9e ch. réunies, 28 juill. 2017 : n° 408920) ;
  • Signe ou emblème religieux : incluant notamment statues, crucifix (CAA Nantes, 3e ch., 4 févr. 1999 : n°98NT00207), œuvres d’art, et bien sûr, crèches de Noël (CE, ass., 9 nov. 2016 : n° 395223, Lebon) ;
  • Monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit : y compris sur le domaine privé (CE, 8e – 3e réun., 11 mars 2022 : n° 454076), exception faite des cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

Dans ce cadre, le sort réservé aux ouvrages pérennes à caractère religieux érigés après 1905 est invariable, à l’instar des statues, pour ne citer que quelques exemples :

  • La croix surmontant la statue de Jean-Paul II, à Poërmel (CE, 8ème – 3e ch. réunies, 25 octobre 2017, n°396990) ;
  • La statue de l’archange Saint-Michel aux Sables d’Olonne (CAA Nantes, 4e ch., 16 sept. 2022, n°22NT00333 ;
  • La statue de la Vierge Marie et de Saint-Maur à Cogolin (CAA Marseille, 5e ch., 18 juill. 2022, n°21MA03245).

Ils sont voués à être retirés.

Les crèches : un régime particulier né sous la bonne étoile du Conseil d’État

Néanmoins, en 2016, le Conseil d’Etat a reconnu aux crèches un régime particulier, en ces termes :

Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d’apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d’exposition. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi.

Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année.

Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public.

Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.

A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.

CE, ass., 9 nov. 2016 : n° 395223, Lebon, préc.

Pour résumer à grands traits :

  • les crèches, par nature temporaire, revêtent une pluralité de signification ;
  • dans un bâtiment public (mairie, école, bibliothèque, etc.), les crèches sont proscrites, sauf circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif ;
  • en dehors d’un bâtiment public (comme sur la voie publique), les crèches sont possibles si elles ne constituent pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.

Une décision miraculeuse portant sur la voie publique ?

Et donc, la Ville d’Amiens aurait-elle trouvé la parade ? Non, car en réalité, elle a probablement et simplement lu la décision du Conseil d’État. Ce que s’étaient épargné de faire certains édiles vu les nombreuses communes condamnées pour avoir localisé des crèches en Mairie (comme, par exemple, à Beaucaire : CAA Marseille, 5e ch., 20 sept. 2021 : n° 20MA02679 ; TA Nîmes, 3e ch., 31 oct. 2023, n° 2200329 ou encore à Paray-le-Monial : TA Dijon, 7 juin 2019, n° 1703010).

Pour revenir notre cas picard, et de manière inédite semble-t-il, le juge administratif était saisi pour la première fois d’une crèche installée dans la rue. Saisie d’une requête apparemment incomplète, la juridiction a fait le choix d’un rejet par ordonnance. Le magistrat prend toutefois le soin de la pédagogie en précise après avoir rappelé le principe exposé plus haut :

Ainsi que le relève lui-même M. B, la crèche litigieuse a été installée sur l’espace piétonnier de la voirie publique de la commune d’Amiens pour la période des fêtes de fin d’année, d’ailleurs à l’intersection et à proximité immédiate de la rue où se tient le marché de Noël de cette commune. Il s’ensuit, d’une part, que son caractère festif résulte directement et suffisamment de son lieu et sa période d’installation dans les conditions qui viennent d’être rappelées au point 6, sans qu’il soit nécessaire, comme le soutient le requérant, qu’il soit davantage révélé par des animations ou un caractère artistique particuliers. D’autre part, la seule autre circonstance invoquée et tirée de ce que cette crèche se situerait dans la perspective, d’ailleurs éloignée, de la cathédrale d’Amiens, ne saurait à l’évidence constituer à elle seule un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse. Par suite, l’unique moyen de la requête tiré de la méconnaissance des principes ci-dessus rappelés n’est assorti que de faits manifestement insusceptibles de venir à son soutien.

La prudence est de mise s’agissant d’une ordonnance rendue sur le fondement de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative, mais l’effort de motivation vient au secours d’une situation, qui, sauf erreur, n’a jamais été embrassée par le juge jusqu’à présent : la légalité d’une crèche installée dans la rue, sous réserve de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.

La position ainsi dégagée s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle dessinée depuis 2016 : le problème avec la crèche, ce n’est pas tant son installation, mais sa localisation. N’en déplaise aux contempteurs de la laïcité millésime 1905 qui continueront à loger l’étable et Marie en Mairie pour s’en féliciter sur les chaines d’information continue, la voie publique leur est ouverte avec certaines précautions. À bon entendeur.


TA Amiens, 27 févr. 2025 : n° 2404899