Par une décision du 20 décembre 2023, le conseil d’État précise la notion de « limite technique », visée à l’article L. 311-9 du Code des relations entre le public et l’administration, constituant un motif légitime au refus de communiquer des documents administratifs.

Une association demande au ministre de l’intérieur la publication en ligne des fichiers correspondant aux délibérations budgétaires des collectivités territoriales et de leurs groupements. Ces fichiers sont élaborés avec l’application « TotEM », puis versés dans l’application « Actes Budgétaires ».

Le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre. Saisi, le Conseil d’État estime que les fichiers dont la publication était demandée contiennent des données se rapportant à des personnes physiques identifiées ou identifiables, donc des données à caractère personnel, et doivent faire l’objet d’une anonymisation préalablement à leur publication.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État précise ce qu’est une « limite technique » au sens du texte précité. Ainsi, il rappelle d’abord :

La personne qui demande la communication de documents administratifs n’a pas à justifier de son intérêt à ce que ceux-ci lui soient communiqués, que la demande soit fondée sur les dispositions du code des relations entre le public et l’administration ou sur celles de l’article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales. En revanche, lorsque l’administration fait valoir que la communication des documents sollicités, en raison notamment des opérations matérielles qu’elle impliquerait, ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si cette charge est effectivement excessive, l’intérêt qui s’attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public.

Rapprocher de : CE, 10-9 chr, 17 mars 2022, n° 449620, Lebon T.

Puis, au prisme de l’enjeu d’anonymiser ces fameux fichiers, il ajoute :

Les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration, selon lesquelles l’accès aux documents administratifs s’effectue « dans la limite des possibilités techniques de l’administration », font seulement obligation à l’administration de donner accès aux documents demandés en ayant recours, le cas échéant, aux outils informatiques dont elle dispose à la date à laquelle elle se prononce et en utilisant les fonctionnalités dont ceux-ci sont dotés. Elles ne lui font obligation ni de recourir à un logiciel qui serait mis à sa disposition par le demandeur, ni de développer un nouvel outil informatique, ni de développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose.

Le Conseil d’État écarte en outre la possibilité d’une anonymisation manuelle (charge disproportionnée, ce qui parait compréhensible). Plus étonnement, il écarte également les possibilités dont dispose un ministère comme celui de l’intérieur en matière financière et humaine. Un logiciel gratuit et open source existe pourtant. Ces limites techniques sont donc appréciées compte tenu du niveau d’équipement actuel de l’administration concernée, non à raison des outils disponibles, fussent-ils gratuits, ou encore de son niveau d’équipement attendu compte tenu de sa taille, ses missions, etc.

On parle ici tout de même du ministère de l’Intérieur… Et dès lors, quel serait l’intérêt pour cette administration de s’équiper d’un tel logiciel d’anonymisation, sinon endurer la communication des fameux fichiers purgés ?

Par conséquent, la limite technique est intimement reliée au bon vouloir de l’administration de s’équiper. En l’état, elle n’est pas appréciée in concreto. Où les limites du droit à communication, au prisme du big data, la contrainte de l’anonymisation jouant le rôle d’un véritable pare-feu.


CE, 10-9 chr, 20 déc. 2023, ministère de l’Intérieur : n° 467161, Lebon.